Facile comme l'océan

Reflétant

oeuvre

Femme se peignant les cheveux, Torii Kotondo

Au-delà des lignes, elle dit l’histoire du désir, mais pourtant je suffoque. Dans les interstices des heures, les brouillons de temps, je peine à être. Dans les rayons de lumière qui me passent au-dessus, qui viennent me colorer en brasure, je suis là et je palpite.

Mon profil est flou, comme patiné. Patiné, lissé par cette volonté farouche qui fut tant blessée, et qui a saisi le gouvernail avec force. « Sauvée », avait-elle murmuré. Il a fallu alors renaître et inspirer nouveau. J’ai compris alors que, dans cette fraction de temps, les chemins mille fois empruntés n’étaient plus là. Effacés. Je me suis retrouvé comme dans un océan familier mais que je ne connaissais plus. Les vagues avaient progressivement retrouvé une face anonyme et je ne savais plus. L’eau venait vers moi puissante comme une masse, mais je ne retrouvais plus ses raccourcis. Pourtant, je ne suis pas inquiet, je ne le suis plus, car je sais qu’elle me cherche et que je suis toujours là.

Dans ma peau, des fragments de feu nourris, aux reflets multicolores, dont on voudrait voir les nuances à l’infini. L’épiderme magique de ce qui se déroule sans mots. Le cocon délicat de ce qui est précieux. Je suis d’or, d’argent et de temps, entremêlés ensemble et je pétille perpétuellement dans les éclats du cœur. Pour cela, le jour me va bien, tout autant que la nuit, qui m’accueille avec moins d’histoires.

Je suis fragile. Dans l’intimité du sexe, je sais naître à loisir mais je me sens trop faible pour retrouver encore l’impulsion fondamentale. Je l’attends et je me nourris, par paillettes et par bribes, avant de retrouver notre verbe. J’existe pourtant dans une multitude d’octaves, dont certaines sont difficilement perceptives. J’existe et je résonne dans d’autres temps. Parfois, je sens l’alcool qui me tient la main et me tire d’ici-bas, alors je tangue aussi et j’accompagne souvent, dans la valse d’un temps qui décide d’être suspendu. Et puis, dans le son, dans la voix, dans les mots et dans les visages, par impulsions, par hasard ou par bonheur, j’affleure, de plus en plus clairement il est vrai. Je vois d’une nouvelle fenêtre, d’une fenêtre que l’angoisse n’oblitère plus systématiquement, sur le balcon d’une confiance nouvelle, d’un espoir. Je suis là d’un coup, et je salue doucement. Elle me reconnaît. Parfois je lui fait peur, elle me referme comme un livre trop intense. Souvent, elle m’accueille avec brusquerie et enthousiasme. Et puis l’on se retrouve encore. Elle murmure « tu te rappelles ? » je lui réponds mille choses. Et elle démêle le peu de nostalgie de moi, avant de ressentir, d’écrire, de crier ou de jouir.

Tu vois ? Je sais qu’elle me cherche. Et qu’elle sait que je suis toujours là.